« Si tu n’espères pas, tu ne trouveras pas l’inespéré, qui est introuvable et inaccessible. (Ean mê elpêtaï anelpiston ouk exeurêseis…) »
À quel naïf, à quel enfant rêveur, à quel merveilleux jeune homme Héraclite s’adresse-t-il ici, à quel utopiste ? Il a l’air de trouver naturelle la recherche de l’inespéré, de l’introuvable, de l’inaccessible. Il semble admettre tout uniment que l’on se soit fixé un but impossible. Et comme condition sine qua non de la réussite, il propose, ou plutôt il impose d’espérer.
Espoir ou espérance ? Plutôt espérance. Car l’espoir est un souhait, un désir toujours un peu intéressé pour le futur proche, alors que l’espérance est une aspiration plus impersonnelle, elle regarde plus loin dans l’avenir, et parfois même elle est universelle.
C’est paradoxal : avec deux négations et trois mots négatifs, Héraclite affirme la puissance positive de l’espérance. L’héroïsme s’accorde bien avec ce langage exalté du paradoxe : ton âme demande l’inespéré ? alors espère ! Même si tu dois frôler les frontières du désespoir, garde l’espérance !
Toute pensée paradoxale est une pensée de la complexité, mais pour conquérir finalement une unité. Héraclite utilise souvent le paradoxe dans ses aphorismes : « Le chemin qui monte et le chemin qui descend sont un seul et même chemin ». « Tout point sur un cercle est à la fois une fin et un commencement ». Les opposés se résorbent en identité.
La vraie sagesse ose confronter les opposés, elle crée des liens d’étincelles entre eux. Elle les concilie et les réconcilie jusqu’à ce qu’ils puissent s’unir. Une tradition dit qu’Héraclite avait étudié dans les temples ou les mystères antiques. On peut penser qu’il y avait acquis le droit d’exercer un certain magistère.
L’enseignement initiatique d’Omraam Mikhaël Aïvanhov propose aujourd’hui aux disciples le même paradoxe ardent :
…nous devons chercher l’introuvable, poursuivre l’inaccessible, tenter l’irréalisable : c’est ainsi que nous resterons toujours en haleine et vivants. (1)
Et ne me demandez pas de vous présenter un idéal facilement réalisable, parce qu’un idéal facilement réalisable n’est pas vraiment un idéal. Je vous présenterai toujours les buts les plus lointains, impossibles à atteindre, car c’est là que règne la vérité, c’est là que règne la beauté. (1)
Vous pensez : « Mais pourquoi tendre vers quelque chose d’impossible, d’inaccessible ? C’est dans la réalisation que réside le sens de la vie. » Non, justement pas. Le sens de la vie se trouve dans la recherche de ce qui est éternellement irréalisable, inaccessible. (1)
Car pour le Maître Omraam, il s’agit toujours du sens de la vie, d’une plénitude de vie. Et c’est le sel ou le feu de l’esprit qui donne le goût de vivre, la saveur et la ferveur de vivre.
(1) Omraam Mikhaël Aïvanhov, Éléments d’autobiographie 1, chap. XIX :
« Seul ce qui est irréalisable est réel »
…( à suivre : II et III)