« On ne peut entrer deux fois dans le même fleuve (Potamô gar ouk estin embênaï dis tô autô) ». Cette phrase très connue d’Héraclite d’Éphèse (V° s. avant J-C.), on la rapproche volontiers de son autre célèbre aphorisme : « Panta rheï, tout coule ». Toutes choses s’écoulent, le fleuve, et par métaphore l’eau du temps, l’eau de notre existence, l’eau de nos états psychiques… On croit se baigner aujourd’hui dans la même rivière qu’hier, mais on est entouré d’ondes toujours nouvelles : le courant qui vient d’amont perpétuellement nous dépasse et s’enfuit.
Cette impermanence des choses a été chantée par de nombreux poètes sur le ton de l’élégie : regret, nostalgie de la jeunesse, de la beauté… La philosophie initiatique se place sur un plan plus élevé que celui de l’émotion, du sentiment. Omraam Mikhaël Aïvanhov donne de ce thème plusieurs variations d’une grande ampleur. L’une est une vision de l’histoire des pays :
Les fleuves portent toujours le même nom, Seine, Tamise ou Mississipi, mais l’eau qui coule dans leur lit est chaque jour nouvelle. Les habitants du fleuve, les milliards de gouttes d’eau, ne font que passer : tandis qu’elles se dirigent vers la mer, d’autres prennent leur place. Comme les fleuves, les pays conservent souvent le même nom, mais il s’y incarne successivement des êtres toujours différents et qui viennent d’ailleurs. Ainsi s’expliquent les changements qu’on voit se produire dans leur histoire. (1)
Autre image, plus vaste encore. Après avoir évoqué le cycle de l’eau qui coule vers la mer, s’évapore, retombe en pluie sur la terre, redevient torrent, fleuve, mer, et recommence indéfiniment, le Maître Omraam dit :
Les destinées humaines sont à l’image de ces voyages perpétuels que fait l’eau entre le ciel et la terre, la terre et le ciel. Comme les gouttes d’eau, les âmes descendent sur la terre, chacune dans un lieu déterminé. De là, elles ont tout un chemin à parcourir, jusqu’au moment où elles retourneront vers leur lieu d’origine… pour redescendre à nouveau un jour dans un autre lieu. Cela s’appelle la réincarnation. (1)
Dans un autre aphorisme, Héraclite écrit : « Chaque jour le soleil est nouveau (Ho helios neos eph’hêmerê estin) ». N’est-ce pas la même idée que le « tout coule » ? Tous les plans du cosmos sont parcourus d’ondes de subtilité différente mais de même nature, et quand on regarde un feu flamboyant et une cascade tumultueuse, on trouve une similitude entre l’eau et le feu. L’eau est une sorte de feu et le feu est une sorte d’eau.
Du soleil coule un feu, comme de la source coule une eau toujours nouvelle, et on ne se baigne jamais deux fois dans le même rayonnement solaire. L’œil physique observe un astre qui se lève et se couche invariablement le même ; mais en devenant sensible aux courants subtils de la nature, on découvre que le soleil envoie vers la terre des fluides toujours inconnus, toujours nouveaux. Le Maître en tire une conclusion pratique pleine de poésie :
Notre vie doit être toujours nouvelle, toujours jaillissante. Comme le soleil, qui est toujours nouveau. La vie d’hier est déjà du passé, le soleil d’aujourd’hui n’est pas celui d’hier, il renouvelle nos richesses, il nous apporte chaque jour quelque chose qui n’existait pas la veille. En se levant chaque matin il nous invite à recevoir une vie toute neuve, à entrer dans un autre rythme, à nous mettre au diapason de la lumière, au diapason de l’éternité. Et c’est cela, la véritable fontaine de jouvence. (2)
Omraam Mikhaël Aïvanhov :